(Par Élise Arguin) Du plus loin que je me souvienne, mon père faisait un jardin. Un giga, extra, méga potager, dans une clairière de la forêt en arrière de chez moi. Il l’arrosait en puisant l’eau du ruisseau avec une pompe à moteur deux temps qui boucanait bleu. Ça ne date pas d’hier ce souvenir là.
Mon paternel était enseignant à l’école primaire et le jardinage, c’était son échappatoire. À 3 h 30, il laissait son intellect au coin du bureau, troquait son « suit de prof » pour du vieux vêtement râpé et pouf, il disparaissait dans le jardin. Je ne peux pas dire au juste combien de temps il passait à désherber son terrain de football jardin, mais mettons que de mai à septembre, on ne le voyait pas ben ben ailleurs que plié entre deux à arracher le chiendent et à renchausser les carottes. En dessous de son t-shirt blanc, il y avait… un autre t-shirt blanc, bronzage façon campagnarde.
Dans l’temps, je ne réalisais pas la chance que j’avais de me nourrir que de bons trucs bios-locaux pratiquement à l’année. Parce qu’à l’automne, ça congelait et ça cannait sur un méchant temps par chez nous. Des marinades, ma mère en fait encore au moins 7-8 sortes différentes alors on s’imagine que quand le jardin était 10 fois plus gros, nourrir les quatre enfants avec le ¾ de l’autoproduction, c’était même pas énervant.
Ma contribution là-dedans? Inexistante. Bah, c’est pas tout à fait vrai, parce que je me souviens avoir été cherché de la « salade » (oubliez ça, le mot « laitue », dans les années 80) en courant en échappant 3-4 feuilles durant le trajet. Me souviens aussi d’avoir écossé des chaudières de p’tits pois et équeuté les fèves, jaunes et vertes.
Bref, mon père, c’est pas le dernier venu quand c’est le temps de faire pousser du végétal. En fait, y’a juste une chose qu’il n’arrivait pas à faire germer : l’intérêt de sa progéniture pour la culture de légumes. On se situait plus dans le spectre opposé : la haine de ce maudit carré potager.
Les années passèrent, hum hum, disons plutôt les décennies. Et là, miracle, en accédant à la propriété, mon cerveau reptilien a eu souvenance du goût savoureux de la bette à carde de la forêt appalachienne.
Avec les bi-mensualités hypothécaires m’est venu le goût de jardiner. Deux p’tits poulets plus tard, je fête mes noces de bois du jardinage familial. Activité devenue une véritable obsession, une fierté. Tsé la fatiquante qui peut te garder dans le cadre de portes 20 minutes en t’expliquant le comment du pourquoi de la variété grimpante du concombre, ben c’est bibi. Tsé là, celle qui cueille sa « salade » en petite robe de bureau, le derrière en l’air à 17 h 22 un p’tit mercredi de semaine, héhé, c’est moi, arborant du coup des ongles semi-terreux sur son clavier le lendemain matin.
Ai pas encore toute l’expérience de mon papa en matière de jardinage, ça non, mais déjà, suis fière de voir ma grande fille aller me cueillir des fines herbes quand je fais une marinade, tandis que son frère se claque une feuille de roquette on the spot, pas tout à fait propre.
Espérons que la piqûre ne les quitte pas.